Il est tôt le matin, le soleil se lève à peine, voilé de lents nuages. Elle promène sur la forêt un regard désabusé. L’aube est encore obscurcie par de lourds volutes de fumée. La forêt a brulé hier. Il fait froid, un frêle souffle de vent remonte sur sa nuque, hérisse sa peau, joue dans les mèches folles. Elle approche des limites de la parcelle incendiée,  s’accroupi auprès d’un arbre mort, éteint, pétrifié par les flammes et la cendre. Elle effleure le sol humide. La terre est glacée. Elle fait courir ses doigts sur le tronc encore tiède. Quand on touche un arbre, on devient un arbre, disait-il, que devient-on collée à un arbre mort? Ou puise-t’on la sève montante pour faire écho à la course du sang? Elle se relève, contemple le chaos,  essuie d’un mouvement distrait sa main sur son jean. Malgré l’eau nourricière et le sable étouffant, employés à réduire les flammes, quelques endroits de la parcelle flambent encore. Du moins l’incendie ne s’étendra plus. Elle parcoure la terre brûlée. Tout n’est pas mort, la parcelle n’est qu’en partie dévastée, ce sont les jeunes pousses qui ont le plus souffert, le bois tendre. Elle devra replanter, à moins d’abandonner cette part de son domaine, encore une parcelle a fermer. Doucement, finir de faire le tour avant de partir.

Au coeur du désastre, un buisson de ronces fume encore, achève de se consumer, de disparaitre. Elle approche. Là, au sein des épines, une fleur magnifique a résisté, lumineuse, étonnante, à peine éclose et si riche de pétales, de ces pétales épais, doux, d’un orange couleur de flamme aux extrémités couleur sable, et au centre, encore fermés, quelques pétales rouge sang. Enfin révélée au soleil, elle pourrait achever son éclosion, au fur et à mesure que les ronces et la fumée la libère. La femme la contemple avec curiosité, l’effleure d’une main hésitante. Aux alentours il n’y a plus rien, c’était le coeur du brasier. Plus un arbre pour l’ombrager, plus une pousse d’herbe, où trouvera-t’elle l’eau nécessaire à sa survie? Résistera-t’elle exposée au quatres vents? Le vent… Après tout… Ce n’est pas la pauvre bise glaçante qui y changera grand chose, les nuages bougent à peine, la fumée s’attarde, aucun rayon de soleil ne parvient à filtrer. La déplacer? Elle la regarde plus attentivement. Comment une si frêle tige parvient à soutenir une telle corolle?
La douleur est fulgurante, quelle idée d’écarter de la main les ronces brûlantes et griffantes pour chercher à vérifier l’état des racines? Inutile, cette improbable ne peut que rester là et tenter de continuer à survivre. Vague regard au ciel, un plafond stagnant de fumée, des nuages sans pluie, des traitres qui empêchent le soleil mais retiennent leur eau. Elle s’installe à distance prudente des épines, s’asseoit en tailleur à même la terre, mélange de sable humide et de vie dévastée où elle enfoui sa main blessée. Ses yeux se perdent dans la beauté des oranges et des rouges. Elle frissone. Une longue veille commence.