Elle a les mains en sang. Ses vêtements en lambeaux, la peau déchiquetée, la chair meurtrie par les brûlures, au milieu des ronces elle avance, cherche, se débat, cherche encore les racines de l’improbable, tend en vain ses mains vides à la rencontre de quelque chose à arracher, à broyer. Le ciel est de plomb, l’air chargé d’une fumée âcre, épaisse, envahissante. Le soleil ne se montrera jamais plus. Les flammes dévorent les quelques survivants de la parcelle. Une braise mal éteinte, une étincelle quelconque, une soudaine bourrasque? Qu’importe. Le résultat est là. Elle lève le visage, les yeux hagards, le sang figé en de lentes trainées de douleur. Non! La douleur sera pour plus tard. Les épines mordent, elle ne sent rien. Elle invective le ciel d’au moins laisser pleurer les nuages. Rien ne vient. L’eau n’arrivera que trop tard. Lever un membre, bouger un muscle, avancer quand même. Oublier le vide qui s’étend, quelque soit la fournaise, quelque soit la brûlure dans les poumons. La fumée pique ses yeux secs, envahi sa gorge desséchée. Arracher les ronces encore, déblayer le chemin, trouver l’espace nécessaire. Déployer sa rage, sa force, son énergie autant que celles du vent, que celles des flammes. Que tout brûle? Soit! Mais l’empêcher de s’étendre. L’arracher, elle, puis aller éteindre, s’en débarrasser avant que son venin ne se répande… La terre en est déjà imprégnée, la sève coule à l’envers.

La fleur luit de tous ses feux, reflétant le brasier qui l’entoure. Doucement, peu à peu, simplement, elle instille à la terre la sève viciée par la fumée et les flammes. Mais elle ne brûle pas.  Processus sans fin. Chaque battement, chaque saignée, craquèlent, morcèlent un peu plus le sol, transforment peu à peu la forêt sauvage en une terre pétrifiée. Immobilisée dans le buisson qui l’enserre la femme hésite, attend. La douleur se réveille, il faut accélérer. Arracher la fleur? Le pourra-t’elle? Serait-ce suffisant? Où irait le venin? Aller éteindre les foyers? Limiter l’incendie? Fichus nuages. Au loin un feulement se fait entendre, rauque, enragé. Un murmure au cœur de l’être lacéré:

“Je sais, ma belle, ils ont ressortis le fouet.”

Un instant, un rien, la parcelle brûle, oui, mais la voilà transposée. Un jardin au grand soleil de mai, quelques brins de muguet. La bise est douce, un ruisseau coule calmement au cœur du terrain. La source s’en était tarie et le voilà présent avec plus de vigueur qu’auparavant. Le cadre est idyllique. Elle regarde ses mains blessées, essuie le sang de son mieux, les cache derrière son dos. Un pas, un autre, en bordure du jardin. Nouveau feulement. Elle soupire. Un pas, un autre, entrons, sur un joli sentier dessiné, balisé, connu. Vague regard autour d’elle, des endroits où trouver le repos, une fontaine où se désaltérer, un bassin pour batifoler, tout à l’air si parfait. Dommage. Dommage d’avoir dû remplacer l’herbe par de la synthétique, dommage que la fontaine s’écaille, dommage que le sentier soit immuable, que l’eau ait le goût du chlore utilisé pour redevenir potable, que le ruisseau charrie des flots marrons du sable qui bouche encore sa source. Le muguet ne suffit pas. Elle se détourne du jardin.

“Plus tard. Peut-être. Ramène moi au feu.”

Flammes, ronces, venin, et toujours la douleur et toujours le vide qui glace. Les nuages se refusent encore à l’aider à circonscrire le brasier. Elle éclate de rire, retourne sentir la vie sombrer.