Ecrit le jeudi 14 février 2002 à 1h20 du matin.

“Il faut que j’écrive… il faut que j’écrive”. C’est lancinant, ça me trotte dans la tête. Il faut que j’écrive. Pour me souvenir, pour graver ma vie. Pour tous ces souvenirs oubliés. Pour tous ceux à garder. Pour ceux qui se sont enfuis, pour ceux que je construirai. Quelle qu’en soit la portée, quel qu’en soit le danger, il faut que j’écrive. Ce sera mon testament, ma trace, ma raison. Des souvenirs épars reviennent parfois à ma mémoire de je ne sais quel tiroir, si enfouis. Je suis heureuse de les retrouver. Avec le temps peu à peu les souvenirs s’accumulent et les tiroirs débordent, j’ai peur d’en perdre d’importants. Ma vie à Dakar s’efface peu à peu, je retrouve des images, des situations, mais de plus en plus nombreux sont les détails qui se perdent. Alors pour ne pas les perdre, pour garder à nouveau trace de ce que je fus, ce que je suis, ce que je serai, parce qu’il ne peut pas nous arriver d’être et de ne pas avoir été, je vais répondre à ce besoin, cette envie si pressante d’écrire, de témoigner. Pour garder trace de chaque jour, chaque minute qui permet de construire notre vie, de chaque chose qui m’a marquée, touchée, émue, et Dieu sait qu’elles sont nombreuses ! Je vais m’astreindre à écrire chaque jour, d’une part le jour même et ses joies et ses peines, d’autre part un souvenir revenu pour retrouver ce qui me reste de mon passé, pour conserver le présent, pour préparer le futur.

Je commence ce soir mais ce sera court, il est tard, je suis fatiguée, bien qu’incapable de dormir. Un résumé rapide: en ce moment je saute les plombs. Ces quatre mots se suffiraient à eux-même, cependant je vais les éclaircir: je ne supporte plus rien, suis au bord des larmes en permanence, m’énerve d’un rien.Aujourd’hui, enfin, hier maintenant, j’ai relativisé, je me suis calmée un peu. Puis j’ai regardé une émission, “Ca se discute”, sur les enfants gravement malades et leur façon de faire face. Et je me suis souvenue au fil de leur dires. Souvenue de pourquoi j’aime la vie. De ce que je répondrai à mon enfant qui se demandera “Pourquoi vivre?”. Pour creuser le sable et pour cette sensation sur ta peau, pour galoper sur un cheval et ce vent en caresse sur ton visage, pour le goût d’une glace à la vanille, pour la vue d’une roche éternelle et magnifique, pour le plaisir de deux corps s’aimant (bon ça dépendra de l’âge de l’interlocuteur :D), pour le miel et le vinaigre de la vie qui l’un sans l’autre font que tu n’apprécie pas le goût du miel à sa juste valeur. Avant-hier (mardi 12 février) j’ai vu “Vanilla Sky”. Ce n’est pas qu’il m’a inspiré, c’est que ce film m’a rappelé mes valeurs, mes croyances, ma joie de vivre, ma rage, ma force.

“C’est quoi le bonheur pour toi?”
“Vivre”

Oui c’est cela. Alors si j’ai baissé les bras quelques jours pardonnez-moi, j’ai oublié de tenter de rendre chaque jour important et de donner en ce jour au moins un sourire, au moins un rayon de soleil. Je reprends les rênes, je continue à vivre avec mes joies, mes peines, et les votres. J’ai commencé par mégarde à entrer dans ce cycle que je hais où on oublie le coté positif et où tout devient noir. Qu’on ne m’y reprenne plus… Alors oui les choses vont mal, et encore, tout dépend comment on les regarde. Oui j’ai mal, oui j’ai peur et mes larmes sont de fidèles compagnes à l’occasion, quand il m’arrive si rarement d’être face à moi et à cette image que je desteste. Mais je n’oublierai plus comme ces derniers jours, comme tout ce début de février, de savourer le goût de la vie dans ces petites choses si bonnes qu’elle nous prodigue. Je n’oublierai plus l’éclat de rire, ni vos sourires, ni ces simples regards qui font qu’aujourd’hui vaut la peine. Un jour où vivre c’est maintenant et c’est vrai tous les jours.
Pardon pour cette phase d’extrème “je veux qu’on s’occupe de moi” doublée d’un “je ne veux pas avoir à le dire”. Je reste l’égoïste que j’ai toujours été, mais n’oublie pas cette fois que je ne vis pas seule et que ça ne mène à rien de s’enfermer dans cette phase. Je sautais les plombs. Bon ça change pas comme ça en trois pages de bonnes résolutions mais j’ai rouvert les yeux, je remettrai les bons masques. On ne peut pas se battre tout le temps, des fois on baisse les bras. C’est normal. Mais je m’étais trop laissée croire que j’en avais le droit. C’est faux. Je ne suis pas la victime, je suis la coupable. Alors on relève le menton, on ravale ses colères, on remet les fusibles  à leur place. Et c’est d’autant plus facile qu’on se souvient à nouveau de l’appétit de vivre qui justifie notre présence. Parce que sur toutes ces années une chose peut un jour changer la vie de quelqu’un d’autre. Et que rien que ça suffit à me justifier. Je parle de changements positifs bien sûr, après il faut apprendre à vivre avec les autres changements, avec ses erreurs,… A ne pas être un trop grand danger.

A me rappeler aujourd’hui? “C’est quoi le bonheur pour toi?”, le miel et le vinaigre, vivre une vraie vie, “Tu l’as rêvée généreuse”, la force d’un sourire, le courage de se battre mais le droit de baisser temporairement les bras. Et toutes ces sensations, toutes ces petites choses qui font que la vie est belle et doit être vécue.

Des enfants malades… Tu m’as dis il n’y a pas si longtemps avoir pesé la question froidement si jeune. La réponse me semble si évidente ! Et pourtant je sais les hivers, je sais le froid, je sais le vide, je sais l’absence, je sais la haine, je sais la honte. Je sais cette jeune fille recroquevillée sous de l’eau glacée, haletante, cherchant un souffle d’air, rien qu’une bouffée d’oxygène pour son corps et souhaitant que ça cesse, par n’importe quel moyen. Je sais cette enfant sur une marche d’escalier. Je sais le rejet. Je sais l’intolérance. Je sais l’étrangère. Je connais en solitude belle amie. Je sais la peur.
Mais je sais aussi le soleil, le sable et l’océan. Je sais la puissance, la force. Je sais la caresse. Je sais la douceur. Je sais le plaisir. Je sais l’amour quelle que soit la forme ou le nom qu’on lui donne. Je sais le rire, le sourire, le regard. Je sais la vie et non, je ne la mettrai pas en balance. La question ne m’est pas venue, à part en grands sautages de plombs d’adolescente, parce que je ne sais que mon appétit, ma rage de mordre, de tout vivre et de tout garder. Un jour où vivre c’est maintenant. Mais je dois l’écrire pour garder à jamais et partager ce qu’il comporte.

Ma question ne fût jamais “En vaut-elle la peine?”, ma question reste “Comment faire qu’elle en vaille la peine?”, à tout ce qu’elle offre déjà il n’y a qu’un ingrédient à ajouter: l’envie. Enthousiasme-toi et ça en vaudra la peine… Et ne pas demander la lune, l’exploit, l’exception, quand un simple paysage justifie une journée. Il n’est rien de banal, de normal, de trop commun. Donnez moins un sourire et j’éclairerai le monde. A défaut d’un autre, du moins le mien, et ça me suffit. Une petite révolution dans ce monde: je ne souhaite plus le cacher. Du moins plus entièrement.

En laissant lire ceci je m’exposerai bien moins que je ne l’ai fait en deux phrases dans un mail hier soir. Le risque? Une incompréhension, une mauvaise interprétation de passages, un malentendu, ou simplement des “entre les lignes” non décelés. Bref celle que je suis aujourd’hui ne craint plus cela. Mais je sais une fillette qui a peur ce soir, peur des réponses à des questions qu’elle s’est posées il y a si longtemps, presque une décennie. Je l’ai retrouvé, je sais que c’est lui. Et je sais à quelle désillusion je m’expose. J’espère qu’il ne me la tuera pas, qu’il la blessera le moins possible. Mais je veux en prendre le risque. Te souviens-tu d’un jour?

Ne jamais oublier, toujours recommencer.